Affaire Sibard: l'interview-vérité.


L'omerta a été rompue, même la Presse désormais en a parlé, l'affaire Sibard a passablement secoué le Mondovino parisien. Chacun y est allé de sa version, de ses dénégations, de ses digressions, voire de sa diffamation. Comme souvent, c'est la voix des victimes qu'on a moins entendue. Comme si elle était encore couverte par celle, tonitruante, de l'ancien directeur des Caves Augé, par cette aura qui faisait de lui un des VIPinardiers de la capitale. Imaginez, un marchand de picrate devenu suffisamment célèbre pour qu'on évoque son nom dans un des bouquins les plus symboliques de la pinarderie française de ce début de siècle, Chez Marcel Lapierre de Sébastien Lapaque, qui, page 132, vante "l'antique manière, lumineuse, fraternelle et roborative de déconner" de Marc Sibard, "la manière française".


"Une histoire banale" a-t-il même été dit, dans le droit fil de ce que celui qui n'était encore que prévenu avait utilisé comme argument pour sa défense, expliquant qu'une certaine "grivoiserie" (sûrement cousine de la "manière française") était consubstantielle de l'univers du vin. Ici et là, d'ailleurs, les langues se délient, évoquent la "lourdeur" des uns et des autres. Au point que l'on souhaite comprendre ce qu'il s'est vraiment passé derrière les vitrines cossues des Caves Augé, afin que cela ne se renouvelle pas. 
Une des victimes, Pauline X, a donc accepté de prendre la parole, de raconter son drame, un drame suffisamment présent cinq ans après pour qu'elle préfère témoigner ici sans que son patronyme ne soit divulgué. J'ai de moi-même expurgé certains détails trop techniques de ce récit qui raconte un système bien huilé, connu de tous et, grâce au silence (gêné ou pas) de tous, protégé. 
Interview.


VPo : – Comment en est-on arrivé là ?
Pauline X. : – J'étais toute jeune, j'achevais mes études au Lycée viticole de Beaune, je devais faire des stages, un en viticulture (chez Frédéric Cossard), mais aussi sur l'aspect commercial du vin. J'avais contacté Lavinia. Tout s'est bien passé, et j'ai eu mon BTS.
Je suis donc parti à la recherche de mon premier emploi, j'avais des propositions à Paris, et un peu par hasard, alors que je passais aux Caves Augé, j'ai rencontré Marc Sibard, qui a été assez sympa avec moi. "Si tu veux apprendre, ici, tu pourras", m'a-t-il dit, et il m'a fait un CDD. Puis, pour remplacer son assistante de direction avec laquelle "ça ne se passait pas bien", il m'a proposé un CDI. Je ne peux pas oublier la date, c'était le 11 octobre 2010, le jour de la mort de Marcel Lapierre.
Au début, ça se passait bien, puis ça a progressivement dégénéré. Pour dire vrai, j'étais un peu naïve pour mes vingt-deux ans. J'ai été élevé dans une famille bourgeoise, catholique. Ce que je voyais, entendais, me choquait, mais beaucoup me rassuraient en m'expliquant que "comment ça se passait" dans le monde du vin.
"Pauline, t'es pas assez sexy!"
"Pauline, défais tes cheveux, retourne chez toi te changer!" 
"Pauline, il faut que tu me masses pour que je bosse mieux!"
J'étais enfermé fréquemment avec Marc Sibard dans son petit bureau et fréquemment il m'humiliait.
"Je t'ai embauchée parce que t'est belle, estime-toi heureuse, c'est la Crise et t'es une bonne à rien, une dyslexique".
De jour en jour, la pression morale, physique, sexuelle montait.
"Tu m'appartiens" m'a-t-il écrit par SMS.
En fait, aux Caves Augé, toutes les conversations, y compris avec la clientèle d'habitués qui venait boire un verre en fin de journée ainsi que certains vignerons, tournaient autour du fric et du cul.


VPo : – Et comment êtes-vous partie?
Pauline X. : – J'ai fini par raconter des choses à mon compagnon. Il connaissait le Droit, et m'a dit de porter plainte.
Dans le même temps, j'ai commencé à me rebeller. Des trucs tout bêtes. Un soir, je lui ai dit non, je n'ai pas voulu défaire mes cheveux. C'était une soirée Bollinger, il m'a humiliée publiquement et m'a enfermée dans son bureau.
"Qui t'a influencé?"
"Est-ce que ce sont les autres employés?"
Parce que d'autres employés voulaient partir, mais avaient peur des conséquences, de ne pas pouvoir retrouver de travail: "on a des enfants!"
Il était saoul, j'ai du le pousser, forcer le passage aidé par une collègue, et je me suis enfuie au commissariat du VIIIe, sous le Grand Palais. J'ai osé le faire parce que je connaissais un commissaire-divisionnaire que j'avais rencontré en Bourgogne. On était fin février 2013.
J'ai quand même du retourner aux Caves Augé, même quand Sibard a su que j'avais porté plainte. Il hurlait: "tu iras nulle part, tu es rien! J'ai le bras long, je connais des politiciens!"
"Ça ne se passe plus comme ça" m'a expliqué mon compagnon qui m'a présenté une avocate, Me Tric que je remercie encore ici. 
J'ai finalement quitté les Caves Augé en mars 2013 en signant  avec Lavinia une rupture conventionnelle, incluant une clause dans laquelle je promettais de ne rien dire.


VPo : – Et après ?
Pauline X. : – Le traumatisme, comme une espèce de burn-out. Six mois de prostration jusqu'à souffrir de deux hernies discales. Remise physiquement, j'ai tout essayé, je suis même partie sur les Chemins de Saint-Jacques.
Il fallait aussi subir le regard des autres, leurs mots. Sibard avait raconté à tout le monde que j'étais sa maîtresse. Alors, des cavistes, des restaurateurs du milieu, j'entendais souvent les mêmes phrases:
"On le connaît, on sait qu'il est comme ça, mais c'est sa nature."
"C'est  du Sibard typique."
"Faut pas dramatiser !"
J'ai du fuir le petit monde du vin nature, aussi bien les restaurants ou les cavistes parisiens que certains vignerons. Je suis partie un an en Autriche en 2014, pour me couper de ce milieu, pour respirer. Une autre victime a fait pareil, elle est allée en Italie. Il y avait une pression. À La maison du Whisky où j'ai travaillé ensuite, Sibard a appelé prétextant des histoires de concurrence déloyale, ça m'a valu d'être convoquée par la DRH devant laquelle j'ai du me justifier, prouver ma bonne foi.
Finalement, je suis revenue en Bourgogne pour travailler loin de ces gens, et repartir à zéro. Apprendre ce qu'est le vrai vin, le vrai vin nature aussi parce que Sibard qui ne jurait que par ça nous faisait parfois boire "des merdes". Et, plus généralement, apprendre le vrai monde du vin. Ici, j'ai d'ailleurs eu la chance d'être soutenue par plusieurs grands vignerons, ils m'aident à me reconstruire.














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